Pour un nouveau pierre-feuille-ciseaux (seconde partie)
⬤ Édition gibbeuse : pleine lune du 17 octobre 2024
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Pour un nouveau Pierre-feuille-ciseaux (seconde partie)
Publié à l’origine dans Café de Faune
Si vous n'avez pas lu la première partie, je vous conseille de le faire maintenant, sans quoi ce texte risque de vous paraître encore plus inintelligible qu'il ne l'est déjà.
4. Pour un nouveau PFCé
Alors que certains (André Jolain bien sûr, mais depuis bien plus longtemps Julia Mitchell, Philippe Vermatin et surtout Bruno Anmère3) prônent un retour radical au PFC classique sans s'interroger un seul instant sur la faisabilité de leur proposition4, une autre école (représentée par Anne Kerouen, Raymond Verlecq et nous-mêmes) entend faire reculer le PFCé de façon progressive en lui opposant un nouveau PFC, bien plus riche en symboles, que les enfants adopteront d'eux-mêmes, sans avoir à subir de contraintes.
Un point sur lequel Anne Kerouen a insisté lors de ses nombreuses conférences est la nécessité pour ce nouveau PFCé (que nous baptiserons, par convention, second PFC étendu ou PFCé') d'être totalement égalitaire, tout comme l'était le PFC classique. La création d'un PFCé' encore plus déséquilibré statistiquement que le PFCé n'aurait aucun intérêt. Reste à définir les modalités de l'équilibrage du PFCé'.
Raymond Verlecq et Anne Kerouen ne croient pas en la nécessité de l'égalité des probabilités de victoire et de défaite entre les différents symboles. Pour eux, l'urgence est de neutraliser la symbolique sexuelle en ajoutant suffisamment de nouveaux symboles « neutres » pour que les préférences des garçons pour ciseaux et pierre, et celles des filles pour feuille et puits deviennent statistiquement insignifiantes.
Cette approche nous semble peu valable pour trois raisons :
Avant tout, il est difficile de savoir si les nouveaux symboles ne vont pas attirer à nouveau les préférences inconscientes de certains groupes sexuels, éthniques ou sociaux. Qu'adviendra-t-il si un symbole très « faible » obtient les faveurs des enfants issus de l’immigration ? Le problème n'aura été que déplacé. À ceux qui pensent que l'expérience et l'analyse statistique nous apporteront peu à peu les moyens de corriger ces défauts5, nous répondrons que le PFCé a déjà fait trop de victimes pour que l'on puisse se permette d'autres errements.
Ensuite, un modèle dans lequel tous les symboles présentent des chances de gain et de perte égales serait plus conforme à l'esprit du PFC originel.
Enfin, elle sous-entend la création de nombreux symboles ce qui, en plus d'être inutile (comme nous le verrons plus loin), risque de poser de nombreux problèmes pratiques.
Abordons maintenant la question des nouveaux symboles. Quelles que soient les réserves que nous avons pu exprimer sur son approche du PFCé', nous devons encore une fois saluer le travail de Mme Kerouen qui a proposé une liste de plus de cent symboles conformes à l'esprit symbolique et enfantin de ceux du PFC original. Parmi les propositions les plus susceptibles d'être retenues se trouvent le filet, le bâton, le miroir, le crochet et le marteau6.
Mais revenons au PFCé et aux quatre symboles actuellement en vigueur. Il est évident qu'un nombre impair de symboles est nécessaire à l'égalité des chances de victoire et de défaite si on souhaite conserver le concept de match nul (ce qui est pour la plupart des chercheurs une nécessité absolue tant sa suppression entraînerait de complications).
Pour équilibrer le jeu, il est nécessaire d'ajouter un symbole que les symboles masculins battront et par lequel les symboles féminins seront battus.
Le PFCé' proposé dans le tableau 7 est totalement équilibré. Chaque symbole gagne contre deux autres, perd contre deux autres, et le concept de « match nul » est conservé.
Reste à déterminer un symbole amenant des énoncés de conclusion de match cohérents. Comment le bâton, par exemple, pourrait-il battre le puits ? Difficile à expliquer. Le tableau 8 résume mes tentatives dans ce domaine. Nous avons étudié les principaux symboles proposés par Anne Kerouen.
De ces cinq symboles, le filet semble le choix le plus raisonnable, bien que les énoncés de conclusion de match contre le puits et la feuille soient très semblables.
Voici donc un modèle final de PFCé'R(filet)7 que nous proposons à titre d'exemple pour ceux qui souhaiteraient en établir d'autres.
5. Conclusion
Comme nous l'avons dit en introduction, ce n'est pas par plaisir que nous avons choisi de rédiger cette tribune. Précisons que ce n'est pas non plus dans le but d'imposer au monde scientifique et pédagogique un modèle de PFCé' parfait. Nous souhaitons simplement offrir aux profanes une vision d'ensemble des recherches effectuées dans ce domaine et exposer à tous les arguments en faveur du PFCé'R.
Nous restons néanmoins convaincus que le PFCé', quel qu'il soit, ne détrônera pas le PFCé en un jour (songeons qu'en plus de deux décennies le PFCé n'a pas totalement replacé le PFC classique, toujours joué dans 2 % des écoles de notre pays). C'est pourquoi il est de notre devoir à tous (intellectuels, professeurs des écoles, mais aussi simples citoyens soucieux de l'avenir de nos jeunes) de nous consacrer à ce qui va devenir, n'en doutons pas, l'un des débats de société les plus brûlants des prochaines années, et une occasion supplémentaire pour nous autres universitaires de démontrer la valeur de notre contribution au débat public.
Notes
3- Rappelons encore une fois le courage visionnaire de ce grand intellectuel (malheureusement disparu depuis) qui, dès 1982, avait senti venir le danger et dont la pétition pour l'interdiction du PFCé était restée lettre morte.
4- D'après une étude effectuée auprès d'enfants âgés de 3 à 12 ans, 73 % d'entre eux refuseraient de revenir au PFC classique. 89 % expliquent leur refus par le désir d'un jeu plus riche, disposant de plus de symboles.
5- Nous ne citerons que pour mémoire la scandaleuse Approche positiviste d'un nouveau PFCé de Marc Ernat.
6- Les symboles mis de côté l'ont été délibérément par Anne Kerouen elle-même, pour différentes raisons : le couteau, par exemple, était trop proche des ciseaux. Le chien risquait d'aboutir à des énoncés de conclusion de match violents. D'autres ne correspondaient tout simplement pas à l'esprit du PFC, qui se limite à des objets « du registre du conte de fée » (Foresse-Girolt) : l'ordinateur (trop moderne), la poulie (trop technique)...
7- Convention standard établie par Raymond Verlecq : R indique un PFCé' régulier (dans lequel les chances de gain et de perte sont les mêmes pour chaque symbole), I un PFCé' irrégulier (dans lequel les chances de gain et de perte ne sont pas les mêmes). Sont ensuite énumérés en indice et entre parenthèses les nouveaux symboles. On peut également indiquer en indice — dans ce cas sans parenthèses — le nombre de nouveaux symboles ajoutés, sans préciser leur dénomination exacte.
Exemple : pour un PFCé' irrégulier disposant (en plus des symboles classiques du PFCé) du chaudron et la fourche, nous écrirons PFCé'I(Chaudron, Fourche). Pour un PFCé' régulier disposant de trois nouveaux symboles, nous écrirons PFCé'R3.
Bibliographie
BLACKETT, Charles (1992) — “The paper covers the well”, influence of radical feminism in the rock, paper and scissors game
DEROUSSIN, Paul (1973) — Synchronisation des mouvements de la main chez le jeune enfant.
FORESSE-GIROLT, Henri (1981) — πέτρα
HOUMAIN, François (1984) — Des ciseaux et des hommes
JOLAIN, André (2002) — Pierres et ciseaux : jusqu'à quand ?
KEROUEN, Anne (1999) — Propositions pour un nouveau jeu de pierre-feuille-ciseaux.
MITCHELL, Julia (1987) — Plato, the scissors and the rock
NOSET, Pierre (1975) — Sémiologie des jeux enfantins
PROKOV, Vladimir (1962) — Statistics and children games
SIERZ, Kurt (1985) — Stein, blatt, meißel, eine geschichte
ZYMBERVITCH, Slovan (1979) — Les symboles phalliques dans les jeux enfantins, tome IV : les ciseaux.
L'avenir de nos jeunes est entre de bonnes mains 👏👏👏👏👏
Incroyable étude.
J'ai personnellement, au cours de mes études d'anthropologie dans des villages reculés de Seine-et-Marne, participé à des parties de PFCé'R(poisson papivore) endiablées.
Le poisson papivore, symbolisé par un croisement de l'index et du majeur, nage dans le puits, mange la feuille, est assommé par la pierre et découpé par les ciseaux (mais il a le défaut de ne pas être un objet).
Cette version du PFCé met en évidence le principal oubli de cette étude : comment représenter un filet avec une seule main ?